Kidnappée. Khora avait été tout simplement enlevée en pleine nuit, dans son lit. Tout s’était passé si vite que la petite de dix ans ne comprenait toujours pas vraiment ce qu’il se passait. Enfermée dans une baraque de tôles froides, bâillonnée, les mains et les pieds liés, elle ne pouvait aller nulle part. Par ailleurs, le tissu autour de sa nuque commençait à lui entailler la commissure des lèvres, ce qui était loin d’être agréables. Encore en pyjama, elle était presque sûre de ne pas être grièvement blessée mais était couverte de bleus et de petites coupures.

« T’es sûr qu’on la laisse là ? »
« Mais oui c’une gosse et elle est attachée, elle ira nulle part, on peut aller s’prendre une bière en attendant les autres. »

Deux voix s’étaient élevées de derrière le métal et Khora commençait à assimiler ce qui lui arrivait. La peur striait ses veines et elle essaya tant bien que mal de tirer sur ses liens mais rien n’y fit. Ses cheveux blonds, emmêlés, restait constamment dans sa figure, en plus, comme pour l’empêcher toujours davantage de se sentir maîtresse de l’instant.

Alors la fillette commença à faire ce que tout être humain normalement constitué aurait fait dans son cas. Et les sanglots percèrent le voile de silence qui l’entourait. Elle voulait rentrer chez elle, revoir ses parents et sa petite sœur. Pourquoi est-ce que ça lui arrivait ?

Elle avait craint le pire et c’est finalement bel et bien le meilleur qui arriva presque en un instant, un éclair. Un coup de tonnerre rouge, qui met en défaut tous les mauvais individus, tous les plans machiavéliques. Un héros, pour sûr.

Pourtant, lorsque Khora ouvre correctement les yeux, elle ne voit qu’un jeunot qui ne doit pas être très éloigné d’elle en âge. Et lorsqu’enfin son bâillon lui est retirée, elle ne peut s’empêcher de vérifier que ses lèvres sont toujours là. Heureusement, plus de peur que de mal, c’était déjà ça de prit.
Interrogée, elle se doit de répondre car c’est là la moindre des politesses. Et sa mère avait toujours été intransigeante sur la politesse.

« O-oui, je crois que je peux… » Son petit corps lui fait mal partout mais aucune blessure sérieuse à pointer du doigt. Alors elle se relève, époussète pour la forme son pyjama hello kitty et essaie nerveusement de brosser ses longs cheveux blonds qui tombe en cascades sur ses épaules pour mieux continuer dans son dos. Elle ne comprend toujours pas ce qui lui est arrivée et ses yeux, humides, ne demandent qu’à avoir des réponses tangibles, justement.

« O-où est-ce qu’on est ? Je sais pas… Je dormais et je suis là… Je veux juste… Je veux juste rentrer chez moi… » Finalement les larmes coulent en torrent, maintenant que le soulagement a fait place à la détresse d’une simple enfant.

Khora n’était pas habituée à se faire rabrouer de la sorte. Généralement, ses parents n’avaient même pas besoin d’élever la voix pour que la fillette obéisse ou convienne à ce qui avait été demandé. Voici peut-être pourquoi, lorsque le rouquin l’alpagua de la sorte, elle en resta coite. Ses larmes aussi avaient cessées de couler dans l’instant, toute étonnée et curieuse qu’elle était face à cet étrange garçon. Il ne ressemblait pas du tout aux autres enfants qu’elle avait l’habitude de côtoyer, c’était certain !

Et avant même qu’elle puisse dire quoi que ce soit pour valider le propos dit plus tôt – c’est vrai qu’elle n’avait pas pensé que ses sanglots pourraient avertir des complices de ses kidnappeurs -, voilà le garçon qui la tirait avec lui par le bras pour commencer une folle échappée à travers ces aménagements de taules et de débris en tout genre. L’attention de Khora était si prise par tout ce qu’elle voyait défiler sous ses yeux bleus qu’elle n’arrivait pas à courir aussi vite qu’elle l’aurait voulu.

Quel étrange endroit, quand même !

Et voici que, tout à coup, ses pieds ne touchèrent plus le sol ! Aaaaaah, pour un peu, elle aurait presque crié, mais finalement elle se rendit compte que c’était le garçon franchement hors du commun qui était en train de la porter. Comme une princesse. Si, si, elle en était sûre, c’était comme cela qu’on portait les princesses ! Pourquoi ? Parce que sa nourrice lui avait décrit une scène similaire dans son livre d’histoires imagées préféré, à savoir « La Rose et le Prince Chocobo-Charmant ». Khora était toute contente d’être portée ainsi. Est-ce que ça voulait dire qu’elle était elle aussi une princesse ? C’était plaisant à imaginer ! Elle avait déjà hâte de raconter toute cette aventure à Rufus et D.

Lorsqu’enfin le rouquin la reposa sur la terre ferme, Khora cligna des yeux à plusieurs reprises, comme pour reprendre une connexion tangible avec les faits concrets. Ah, oui, répondre à une question. C’était tout de même la base de la politesse et ses parents l’avaient scrupuleusement éduqué à être polie, justement. « Euh… J’habite… Euh… » Elle cherchait un point de repère, n’importe quoi.

Mais rien ne lui venait à l’esprit. « Je vois le ciel, chez moi… » Mais pas là. C’était bizarre, cette sensation d’enfermement. Khora n’aimait vraiment pas ça.

Mais ses interrogations revinrent à la charge et elle reposa bien vite ses grands yeux sur la silhouette de son confrère. « Comment tu t’appelles ? » Elle tendit une petite main timide vers lui – son père faisait tout le temps ça quand il se présentait à d’autres adultes – et poursuivit « Moi… Moi c’est Khora ! » Elle devait tout de même connaître le nom de son sauveur, non ? Ça se passait toujours comme ça dans les histoires de capes et d’épées.

Elle ne put rien répondre à par un hochement de tête pour approuver les dires du garçon. Si elle ne reconnaissait rien, c’était forcément qu’elle ne venait pas du secteur, donc aller vers les hauteurs pourrait aider, surement. Et ça permettrait de chercher le ciel plus facilement. Alors elle se laissa entrainée par la main de ce sauveur inespéré. « Seleno ? C’est joli ! J’aime bien ! » Et puis elle trouvait que ça lui allait bien, sans pour autant pouvoir l’expliquer. C’était comme ça, un ressenti. Une émotion, aussi, peut-être.

Si elle marchait pieds nus sur le sol, Khora n’en était pas gênée. C’était la première fois qu’elle le faisait et ce tout petit moment d’inédit lui renvoyait l’excitation de l’interdit. Jamais ses parents n’auraient admis qu’elle laisse trainer ses pieds de la sorte dans la poussière, non non ! Elle était une fille de bonne famille, bien élevée et avec un destin déjà tout tracé disait son père, souvent. Mais qu’est-ce que c’était usant et ennuyant, tout ça.

Elle venait de passer de la peur à l’amusement et tout ça, grâce à ce Seleno. Immédiatement, plein d’autres questions naquirent aux coins de ses lèvres et s’envolèrent avant même qu’elle ne le contrôle elle-même, probablement. « Tu vis ici, toi ? Comment il s’appelle, cet endroit ? » Ses yeux ripent et ricochent sur les tôles ondulées, courent et sautent sur les pavés fissurés.

« Je ne savais pas qu’il y avait du monde sous Midgar. » C’était fascinant ! Elle qui n’avait apparemment connu que le décor de sa vie là-haut –en admettant que c’était bien cela dont ils parlaient tous les deux -, l’envers lui apparaissait comme recelant mille et une merveilles. A commencer par son accompagnateur. Oh, mais d’ailleurs… « Et au fait, t’as quel âge ? Et comment on va faire pour monter ? Y’a des échelles ? Et tu as des amis ici ? »

Une mine à questions. Et à problèmes, par la même occasion.

Oh oh… Visiblement, poser trop de questions agaçait Seleno. Khora retint à peine une moue contrariée, elle aurait voulu en savoir plus sur lui après tout ! Ce n’était pourtant pas un drame, si ? Peut-être qu’ici, les choses étaient différentes de ce qu’elle avait connu jusqu’à présent. Elle devait se conformer à ce qu’il en était, dans ce cas. Ses parents lui avaient très souvent répétés qu’il était important de savoir s’adapter aux situations et aux gens qu’elle rencontrerait. D’accord, alors !

« La police ? Tu veux dire les SOLDATs ? Mon papa m’en a parlé mais je ne suis pas eux, moi, je suis trop petite ! Et puis mon papa m’a dit que c’était une affaire d’homme et que je ne pourrais pas y aller, même grande. » Elle s’était interrogé sur le pourquoi du comment, sur le coup. Mais sa mère lui avait immédiatement changé les idées avec autre chose. Maintenant qu’elle y repensait, elle se promit de reposer la question à son père, à l’occasion. Au moins ,elle espérait ainsi rassurer un peu Seleno. Il avait l’air agité en posant sa question…

Mais quel bonheur de voir qu’à son tour, le garçon l’interrogeait. Toute contente, Khora essaya de trottiner un peu plus vite pour se mettre à sa hauteur. « Oui ! Ma maison, elle est dans le Secteur 1. Enfin… Sur le Secteur 1, du coup ? Je ne savais pas que cet endroit existait avant mais c’est peut-être pour ça qu’on appelle les résidences des plateaux, peut-être ? C’est vraiment bizarre, tous ces mots différents… Mais oui j’habite dans le Secteur 1 avec mon papa, ma maman et ma petite sœur ! »

Elle fit une pause à cause des fenêtres. Qu’était-elle supposée répondre à ça ? « Euh… Bah les fenêtres sont normales, quoi. Il y en a dans le salon, sur la baie vitrée qui donne sur le jardin et euh… Bah partout. Mais tu les verras, je te montrerais ! Elles sont jolies je trouve. Et puis comme ça on a plein de lumière. »

Là-haut, elle ne s’était jamais posé la question de savoir si c’était une denrée rare.

Ce jeune garçon était quand même drôle, avec ses cheveux en bataille et son regard sérieux. Khora trouvait alors qu’il correspondait tout à fait à l’idée qu’elle se faisait d’un véritable héros. Sauf que les héros de ses livres ne ressemblaient pas du tout à ça. Ils étaient… plus grands. Et plus musclés. Et plus armés, aussi. Mais en dépit de ces différences, la fillette était quand même ravie de s’être trouvé un chevalier servant pour la raccompagner chez elle. D’ailleurs, elle n’avait plus du tout peur, maintenant !

Lorsqu’ils parvinrent jusqu’à une sorte d’autoroute, Khora, qui n’en avait jamais vu d’aussi près, ne fit pas grand cas de l’absence de sécurité ou autre dans cette partie des Taudis. « On va rentrer par-là ? » Ses yeux aperçurent, malgré l’obscurité plus ou moins ambiante, une moto équipée d’un side-car, laissée plus loin. « Peut-être qu’on pourrait demander au propriétaire de cette moto de nous remonter ! Tu sais, je pense que je peux lui proposer quelque chose en échange, peut-être qu’un collier l’intéressera ? »

Elle parlait décidément beaucoup trop fort pour une approche discrète. Si elle ne se taisait pas bientôt, cela pourrait leur attirer des ennuis. En revanche, le frisson qui parcourait son dos, lui elle l’avait bien décrypté. Doucement, sa main vint serrer un peu plus fort celle de Seleno. « Tu sais… Je crois que j’ai un peu peur. » Et comme si elle se sentait en devoir de préciser, elle poursuivie ses explications surfaites. « Enfin, pas autant que tout à l’heure, parce que là tu es avec moi ! Mais… Je ne suis pas très rassurée. »

Mais elle tâcha de se rassurer.

Les princesses s’en sortaient toujours à la fin des contes, alors pas de raison que ça n’arrive pas cette fois-ci aussi !