Elle voyait derrière cette vitre défiler les paysages de Junon et son esprit de petites filles se plaisait à s’imaginer que les éclats qui rebondissaient sur la surface de la mer étaient des dauphins de lumière. Du haut de ses neuf ans, Khora avait bien compris qu’elle devait faire quelque chose aujourd’hui. Quoi était encore un mystère, mais sa mère avait pris le temps de l’habiller et de la tirer à quatre épingles pour qu’elle apparaisse comme une poupée couverte de soie et de satin, ce n’était sans doute pas pour rien.

Elle aurait voulu rester avec sa petite sœur et leur nourrice, mais ce n’avait visiblement pas été dans les plans des adultes. Pour le moment, elle ne disait rien, se contentant de suivre ce que l’on désirait d’elle et d’y répondre au mieux. Car Khora voulait plaire à ses parents. Quand bien même elle rêvait d’infiniment plus. Mais tout le monde ne savait lire dans ses yeux bleus.

Lorsque le véhicule stoppa sa chevauchée, Khora attendit qu’un majordome vienne lui ouvrir la porte – ses parents lui avait défendu de sortir toute seule – puis elle avait salué leurs hôtes respectueusement, même si elle avait sciemment évité le regard du grand homme blond statuant devant son père. Elle l’avait déjà vu, cet homme. Monsieur Shinra. Et il l’a mettait grandement mal à l’aise rien que par sa présence. Toutefois, polie et réservée, la petite tâchait de ne pas le montrer.

Invitée à suivre le cortège de personnes fourmillant près d’un bâtiment, Khora fut rapidement retirée à la liberté de l’extérieur, restreinte aux murs de cette immense maison.

« Rufus est à l’étage, si elle veut le voir pendant que nous discutons. »

Rufus ? Qui était Rufus ? Khora l’ignorait mais ses parents lui firent comprendre qu’il était de bon ton pour elle de gravir les marches en verre qui menait au premier étage de la maisonnée. Soit. Elle fit une révérence de courtoisie et commença à grimper.

Mais le dilemme perdura une fois parvenue dans le grand couloir central de l’étage. Quelle porte choisir ? Il y en avait tant ! L’enfant n’aurait probablement pas le choix que de toutes les essayer jusqu’à ce que l’une d’elle accepte de la laisser passer. C’est ce qu’elle fit, donc, jusqu’à tomber sur la clémence de l’une d’entre elle lui permette d’entrer dans une pièce en manquant de peu de perdre l’équilibre. Là, une silhouette. Et Khora, toujours accrochée solidement à la poignée de porte avec ses deux mains, laissa libre court à sa spontanéité. « Bonjour. C’est toi Rufus ? »

Les adultes n’étaient plus là, elle était un peu plus libre.

Dix ans devraient être l’âge de l’insouciance, l’âge des découvertes, des tout premiers émois que l’on ne comprend pas. Et pourtant ces ceux-là étaient si loin de ces préoccupations que l’on pourrait le croire bien plus vieux qu’ils ne l’étaient réellement.

Mais Khora était bien décidée à être polie et gentille. Le garçon en face d’elle, Rufus, avait l’air vraiment très gentil. Bon, il était déjà un peu plus grand qu’elle, ce qui l’obligeait à lever la tête – et ce n’était pas juste parce qu’ils avaient le même âge, non ? – mais au final ce n’était pas si grave.

Les deux billes céruléennes de son crâne regardèrent son vis-à-vis avec insistance. « Bonjour. » Un peu timide, mais absolument pas hors des sentiers battus. Cependant, elle était un peu mal à l’aise avec les propos du garçon. « Euh… Je. Je suis Khora. Khora Vonfire. Je suis venue ici avec mon papa et ma maman parce qu’ils m’ont dit que c’était important. »  

Et il est vrai qu’elle n’en savait pas davantage. Mais puisqu’elle était avec une personne de son âge, autant e profiter, non ? Elle regarda un peu partout, laissant son regard se balader sans limites. « C’est ta chambre ?! Elle est super grande ! Tu arrives à la remplir au moins ? » La question pouvait paraitre étrange et pourtant, c’était bien cela qui l’intriguait le plus.

Ce n’était qu’une enfant de dix ans.

Khora ressenti un frisson malaisant parcourir tout son jeune corps d’enfant. C’était étrange la manière dont il avait de s’adresser à elle. Jamais encore elle n’avait vouvoyer ou s’était fait vouvoyer par des personnes du même âge qu’elle et pourtant ce garçon qui lui faisait face paraissait ne pouvoir communiquer que comme ça. Ou peut-être était-ce une exigence particulière des hôtes de ses parents ? Khora n’en avait aucune idée, mais cette absence de réponse ne fit qu’accroître la sensation d’un poids impossible sur ses épaules. Et sur celles dudit Rufus aussi, visiblement.

En vérité, même, elle aurait presque voulu revenir sur ses pas et redescendre à l’étage pour fuir cette angoisse neuve qui commençait tout juste à se loger jusque dans ses entrailles.

Heureusement, par un heureux coup du sort, une silhouette pataude vint désamorcer cette atmosphère très carrée, trop artificielle. Khora eut un sursaut en voyant l’étrange chiot s’étaler ainsi à ses pieds, un jouet bien mâchonné en guise d’offrande maladroite. Et lorsqu’elle vit la réaction du jeune Rufus, elle ne comprit pas non plus. Alors, de nouveau décidée à être un peu plus spontanée et voyant là l’occasion rêver de parler plus normalement à son homologue, la fillette ramassa le jouet et délia ses lèvres jusque-là pincées. « Oh non, attends ! Il peut rester, ça ne me dérange pas du tout ! » Elle sourit, plus lumineuse que lorsqu’elle était arrivée.

« C’est ton chien ? Comment il s’appelle ? D ? C’est un drôle de nom ! Mais j’aime bien… C’est quoi comme espèce ? » Elle n’y connaissait pas grand-chose en animaux si ce n’est ce qu’elle avait pu lire dans les livres jusqu’à présent. Ses parents lui refusaient la présence d’un animal au sein de leur maison pour divers motifs tous plus hypocrites et mal-argumentés les uns que les autres.

Alors, de pouvoir céder enfin un peu de son temps à une bête, Khora n’aurait pu être davantage ravie. Elle tendit une main ouverte et le jouet de l’autre main comme pour indiquer qu’elle adorerait faire davantage connaissance avec D. Et avec son jeune maître.

« Non, j’ai pas peur ! » En réalité, peu de choses effrayaient vraiment la petite Khora. En tête de file, son propre père, surtout lorsqu’il élevait la voix. Elle n’aimait vraiment pas ça. Alors un chiot adorable comme D – ou Dark Nation -, elle n’aurait pu rêver apparition plus appréciable. Elle écouta religieusement tout ce que Rufus avait à lui dire et se sentit vraiment triste pour ce duo maître-chien de ne pas pouvoir faire ce qu’ils voulaient juste à cause d’aprioris d’adultes qu’elle ne parvenait ni à saisir, ni à comprendre ne serait-ce qu’un tout petit peu. Ou peut-être qu’au fond, elle ne le voulait tout simplement pas. C’était aussi une solution.

Le petit tour de D effectué, elle ne pu s’empêcher d’applaudir en riant. Elle était heureuse de sentir que l’ambiance avait changé du tout au tout et que Rufus avait cessé de la vouvoyer. Vraiment, elle préférait ! Et lorsqu’elle dû lancer le jouet, elle ne se gêna pas pour rassembler toute sa faible force de petite fille pour essayer de le jeter aussi loin que possible afin d’amuser D. Ayant rejoint Rufus, c’était un peu plus simple à faire. « Vous êtes vraiment doués tous les deux ! Ça se voit que vous vous aimez beaucoup. Enfin, je crois ? Mais vous avez l’air ! » Mais il y avait encore plus important à dire, à sceller. « Promis, je dirais rien ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais… euh… Dans le Cratère ? » C’était la première chose qui lui était venue en tête. Et comme Nancy, sa nourrice, lui avait raconté beaucoup de choses effrayantes sur cet endroit, elle songeait donc à d’horribles monstres et pour sûr, non, non, elle n’avait pas envie d’y mettre les pieds !

En baladant son regard autour d’elle, Khora eut de nouveau envie de poser mille et une question à la seconde. Mais elle se retint car il ne fallait jamais demander trop de choses en même temps à une seule personne en même temps. C’était sa maman qui le lui avait dit. Et maman avait toujours raison, non ?  « Tu as des frères et sœurs, Rufus ? » Puisqu’elle n’était pas enfant unique, Khora pensait – à tort – que c’était surement pareil pour tout le monde. C’est qu’elle était habituée à en côtoyer, des fratrie, sur son plateau du Secteur 1.