Poussière et débris. Il n’y avait que cela, des décombres et la mort où qu’il regardât. Tout lui était étrange, et rien ne pouvait changer cette impression qui le faisait se hérisser, qui tendait ses épaules. Il n’avait pas vu beaucoup de cette ville, de Midgar, quelques rues, quelques tonnes de roche sur son échine. Pour autant, il la connaissait, ou du moins il lui semblait que c’était le cas. La mémoire d’un autre, partielle, qui venait par vague lorsque cela l’enchantait. Il étouffait. Là où devait se trouver un amas sans nom de pierres soufflées par des explosions terrifiantes, il n’y avait pas même encore de constructions. Certaines bâtisses ne concordaient pas. Cela n’aurait pas dû le déranger. Yazoo n’avait rien à penser de cette situation, de ces différences qui marquaient un futur incertain. Pour autant... Il n’aimait rien de tout cela. Il n’aimait pas devoir masquer ses traits, se faire discret avec son frère. Il n’aimait pas l’incertitude, et les piliers de béton. Il n’aimait pas l’idée qu’un seul geste de sa part pourrait avoir des conséquences inimaginables. Sa vie était sur un fil, et il en arpentait la longueur comme un funambule. La chute n’en serait que plus brutale.

Il avait quitté l’acier et la misère sur un véritable coup de tête. Il savait qu’il pourrait en tirer quelque chose, encore, s’il cherchait, mais la patience commençait déjà à s’égrener. La machine était en marche, et il se devait de la rattraper. Il avait laissé Loz en arrière, cette fois-ci, le rejoindrait sûrement plus tard, lorsque la situation le demanderait. La solitude lui pesait autant qu’elle lui offrait un calme appréciable. Il était habitué à l’entendre pleurnicher, parler, sans cesse. Il s’était fait aux bruits incessants de la ville. Le silence des plaines était un choc tout autant qu’un cadeau. Se diriger n’était pas un problème, avancer avec l’efficacité d’un automate l’était encore moins. Il était rapide, évitait les ennuis avec aisance, suivait une piste marquée dans son sang comme s’il pouvait la voir, tracée devant ses yeux par des néons ardents. C’était dans sa nature, leur nature à tous. Suivre, et se taire. Suivre, survivre, juste assez pour arriver à leurs fins.

Mais même les anomalies ne possédaient pas le pouvoir de prévoir les tempêtes. La pluie n’aurait pas dû le déranger et, pour être franc, il aurait pu poursuivre son chemin. Tout cela n’était qu’un caprice. Une envie qui n’aurait pas dû exister, se mettre au sec, éviter le contact déplaisant du cuir trempé sur sa peau, de ses cheveux qui collaient à son visage. Un caprice, mais un de ceux qui se révélaient bien trop plaisants pour les ignorer.

À ce stade, il se demandait encore s’il n’aurait pas mieux valu se détremper dehors.

La grotte s’était révélée accueillante, autant qu’elle pu l’être. Sèche, donc, et orientée de sorte que le vent ne s’y engouffrait pas de façon trop ennuyante. Un peu trop accueillante. Il avait sentit son corps se hérisser, jusqu’au plus fin duvet, à l’entente de cette voix. Une voix familière, une voix qu’il abhorrait autant qu’il la cherchait. Quelle déveine. Véritablement, il était maudit. S’il était arrivé second... Il aurait fait demi-tour. Désormais, il était coincé, et quelque part vers l’entrée se tenait le mouton noir de la famille. Cloud. Cloud, qu’il n’était pas censé approcher. S’il en venait à contrarier quoi que ce fut... Il ne donnait pas cher de sa peau.

Alors Yazoo se mit à reculer, à pas de velours, jusqu’à buter sur un paroi, y appuyer son dos avec prudence. Bien. Réfléchir. Respirer. Calmer son pouls qui s’emballait. La fuite s’avérait une option compliquée... Mais envisageable. Il lui fallait semer un début de panique. Lent, appliqué, il sortit son arme, mais la pluie ne suffit pas à masquer le bruit qu’il fit en la rechargeant.

Le pétrin, vous connaissez?

Une personne. Deux. Plus? Il tendait l’oreille, aux aguets, changea sa posture pour ancrer ses pieds au sol. Le silence, le calme, et une terrible lassitude s’empara de lui. Pourquoi rien ne se déroulait jamais comme prévu? Y avait-il seulement quelque chose qui l’était, pour lui, ou devrait-il accepter d’être mené de bout en bout comme le pantin qu’il était? Frustration. Ennui. L’obscurité fut dévorée par les flammes, qui brûlèrent désagréablement ses yeux sensibles, dont la pupille se dilata en réponse. Cloud...? Il eut un doute, certain d’avoir mal compris, car le sort ne pouvait être aussi ironique. Et pourtant... À la lueur douçâtre, c’était bien ce visage, ces traits, étrangers, familiers. Jeunes. Plus jeunes, mais marqués, pour peu qu’il put en voir derrière... Il n’eut pas le temps de réfléchir davantage, son corps tendu comme un arc, prêt craquer. La vivacité du geste le fit reculer, buter contre le mur froid de la caverne, son souffle se perdit, et Aries, car c’était-elle, n’évita de se faire transpercer que parce que son arme était presque une part de lui. Le choc aurait bien pu lui faire presser la détente.

-Ah...

Un grand élan d’éloquence. Il était figé, les mains à demi levées, le visage impassible pour qui ne noterait pas ses yeux légèrement écarquillés. Il ne savait pas quoi faire. C’était... Trop. De contact, de bruit, de contact, et cette chaleur pressée contre son torse lui était si incongrue qu’elle en devenait désagréable. Un long frisson remonta dans son dos, et il contempla l’idée de le lui faire regretter. Manque de chance... Le blond. Ce blond. Le seul avec lequel il se devait de ne pas interférer. Il entreprit de décaler soigneusement Aries, d’une main ferme sur son épaule, raide, les lèvres pincées en une moue sévère.

-Hmph... Cloud, lâcha-t-il, une inflexion étrange dans la voix, alors que le concerné semblait avoir vu un fantôme -en avait vu un- : À ton avis? Il pleut.

Une excellente explication, sans l’ombre d’un doute. Il allait donc falloir compter sur la pétillante jeune femme pour faire la conversation, puisque Yazoo ne parlait pas sans animosité. Il y avait une amertume latente dans sa voix. Un déplaisir. Quelque chose de profond, et de pernicieux. La timidité apparente du héros -quel héros!- n’était pas sans l’irriter. Ils se fixaient tous deux en chien de faïence, en réalité. Cloud sans comprendre, Yazoo avec l’antagonisme lié à une toute autre histoire. Il fut finalement le premier à détourner la tête, craignant d’avoir envie d’arracher celle de l’ancien soldat à mains nues s’il le contemplait trop longtemps. Vraiment, son allure... Ah, il se trahissait juste en existant. Il était difficile de passer à côté des ressemblances, mais il comptait sur l’idiotie du blondin pour s’en tirer sans trop de mal. Un petit mensonge, ou deux, ou douze... Ou une intervention d’Aries. Soudainement, il se para de ce qui était le plus proche d’un sourire dans sa palette d’expressions relativement limitée:

-Et si tu me racontais plutôt comment... Pourquoi tu t’es mise en tête de le suivre, hm...? Ce soit être une sacrée histoire.

Quel effort. Une telle phrase, il allait devoir se taire un moment pour récupérer. Mais il préférait éviter toute tentation. C’était sa vie qui en dépendait, après tout.